Un soupir las chatouilla les lèvres de Logan. Ce n’était pas la première fois qu’il se retrouvait ici à fixer bêtement l’entrée de la résidence des Kyôya sans pouvoir parvenir à y mettre les pieds. Un jour, il avait sonné, puis il avait fuit comme un chaton. Pourquoi avoir peur ? Logan tenait absolument à rencontrer cette grande famille qui devrait, logiquement, être la sienne. Mais justement : le terme « grande » famille lui dressait les poils de la nuque. Comment s’intégrer dans une chose aussi énorme ? Ne risquerait-il pas d’être seul au milieu de tout ce monde ? A y réfléchir, le lynx préférait rester dans sa maison près de la forêt.

« De toute façon, ce n’est même pas sûr qu’on puisse faire quelque chose pour moi là dedans, chuchota-t-il, assit sur un banc qui faisait face à la résidence. Bonjour, je suis Logan, je ne sais pas d’où je viens, mais je me transforme en lynx quand je suis malade ou que j’ose effleurer une nana ! Vous pouvez m’aider ? Un remède peut être, ou si c’est trop demandé, un cousin, un oncle, quelque chose ? »

Un rire nerveux le secoua légèrement. Logan était totalement perdu. En réalité, il l’avait toujours été depuis la mort de son père adoptif, et cette situation commençait à l’insupporter. Partagé entre l’envie de rester seul et l’envie de savoir, d’évoluer, il ne parvenait pas à prendre de décision. Il passa fébrilement sa main dans ses dreadlocks.

Logan ferma les yeux afin de rassembler le peu de sang froid qui lui restait et un minimum de concentration pour analyser la situation. « Tu te lèves, tu marches jusqu'à cette foutue porte, tu sonnes ou tu toques, c'est pourtant pas compliqué, pensa-t-il, exaspéré de ne pas pouvoir bouger d'un pouce.»
Les battements de son cœur lui remuaient les entrailles et tout ce qui allait avec. Il avala doucement sa salive et serra les poings en sentant de vilaines fourmis les envahir. Le banc où il se tenait assis représentait son passé, impétueux, inoubliable et sombre. Cette porte là, à quelques mètres de lui, semblait lui annoncer un futur noueux et complexe.
Brusquement, dans un élan de courage, le lynx se redressa et quitta son passé qui l'avait accueillit bien trop de fois. C'est à ce moment précis que ses paupières s'ouvrirent et que ses prunelles bleues se posèrent sur une silhouette féminine. Discrète, voir imperceptible, il ne l'avait pas du tout remarqué, ni entendu. Les yeux de la jeune femme, qui semblaient le fixer, étaient d'un vert si puissant qu'il eut du mal a contenir un air admiratif. Et cette chevelure ... Trop tard, un sourire abruti vint se coller sur les lèvres du maudit qui manqua de trébucher dans une malformation de la route. Il tenta de calmer son cœur qui venait tout juste de repartir au galop en régulant sa respiration et s'approcha d'elle.

- Excu... Excusez-moi, venez-vous de sortir de cette résidence ?

De plus près, la jeune femme était vraiment adorable. Logan, de part sa grande taille, devait vraiment baisser la tête afin de pouvoir la contempler. Il tenta de garder un air sérieux et détaché, histoire de ne pas passer non plus pour un idiot.

Les joues de la jeune femme virèrent au rose pâle faisant ainsi ressortir l’incroyable couleur de ses yeux. Cette femme était spéciale, les rayons du Soleil qui la baignaient de lumière lui offraient une aura mystique. Cette femme semblait aussi légèrement troublée et étourdie, la rendant de ce fait encore plus adorable.

«  Pardon, j'étais... hem, ailleurs. Euh... oui, oui, je viens de sortir d'ici »
 
Alors elle vient de là-bas. Logan laissa couler un regard lourd vers l’entrée de la résidence, qui s’embua de mélancolie lorsque qu’un petit garçon souriant et sa mère y apparurent. Il se mordit la langue pour ne pas se sentir trop atteint. Si sa mère avait décidé de rester au sein de cette famille, rien de tout cela ne serait arrivé. Peut être qu’elle l’aurait rejeté à cause de sa forme, peut être aurait-il dû rester enfermer comme un monstre mais au moins, au moins il n’aurait pas été seul.

« Vous... ? »

Ce mot tira brutalement le maudit de ses songes.  Il offrit un petit sourire à la jeune fille qui semblait pétrifiée. « Elle va me faire rougir à me fixer comme ça, est-ce que je lui fais peur ? C’est ça, je lui fais peur, en même temps je n’ai pas l’air très commun … Ca commence bien, si je commence à effrayer le seul contact que j’ai réussi à établir avec les Kyôya après des mois et des mois…». La jeune fille passa une main fébrile dans sa tignasse auburn et parut plus sereine.

«  Pardon... Vous recherchez peut-être quelqu'un ? »

Logan écarquilla les yeux de surprise. Il n’avait même pas pensé à ce qu’il pourrait dire, à qui il pourrait parler afin de se renseigner. Une tension innommable lui enveloppa l’estomac et son cœur se remit à jouer de la batterie. Le lynx était un calme de nature mais ce sujet là avait le don de le tourner et le retourner dans tous les sens.

- Je … A vrai dire … J’ai besoin … De … De savoir si c’est possible de visiter la résidence, dit-il d'une voix tremblante.

Il se rendit compte que sa requête était étrange et tenta de se rattraper.

- Parce que mon grand-père venait arroser les plantes ici, il est mort il y a peu de temps et j’aimerai m’imprégner de ce qu’il a connu.

Raté. Un mensonge, un bon gros mensonge qui ne tient même pas debout. L’anxiété avait prit le contrôle de sa parole et il avait été incapable de se contrôler. Déçu de lui-même, le goût de renoncer lui vint à la bouche.

- Pardon, je ne tiens pas à vous faire perdre du temps. Je repasserai une autre fois.

Logan allait partir lorsque l’une des fines mains de la jeune femme se leva vers lui. Il eut un léger geste de recule, ayant trop peur d’établir un contact physique avec elle. Se transformer en énorme lynx devant elle et la porte de la résidence histoire d’effrayer tout le monde ? Pas aujourd’hui. Elle ne sembla pas avoir remarqué sa réticence, ce qui le soulagea.

« Non, attendez. Si ce n'est que visiter la résidence, c'est possible, bien sûr. »

Adorable. La tension au sein de l’homme s’évapora comme par magie. Le lynx observa le doux sourire qui illuminait le fin visage de l’inconnue. Elle l’invitait à entrer ! Regrettant son mensonge, il se sentait gêné d’avoir mentit, mais ce qui est fait est fait. Il glissa vivement son regard vers la résidence et sentit l’excitation monter en lui. La peur, peu à peu, disparaissait pour laisser place à de la curiosité. Ses prunelles se tournèrent de nouveau vers la demoiselle qui lui faisait signe d’entrer.

«  Bien sûr, tout seul, vous ne pourrez pas rentrer à l'intérieur. Mais je veux bien vous faire visiter ... A une condition. »

Les sourcils du maudit se froncèrent en entendant la fin de sa phrase. L’inconnue l’intéressait de plus en plus. Timide et peu sûre d’elle-même à première vue, elle paraissait désormais pleine de malice et d’audace.

- Je vous écoute, dit-il d’une voix amusée tout en croisant les bras, souriant de nouveau.

Lorsque Valentine aperçut l'air joyeux et ravi du jeune homme, elle ne fut pas déçue de sa proposition. Elle lui sourit doucement, suivant son regard curieux et excité. Le jeune homme semblait vraiment vouloir entrer dans la résidence. C'était presque étrange, car pour Valentine, habituée à y vivre depuis son enfance, cela n'était plus rien d'autre qu'une simple habitude. C'était presque amusant, au fond. Presque mignon. C'est aussi pour cela qu'elle s'était proposée. Après tout, elle n'avait rien d'autre à faire, aujourd'hui. Mis à part dessiner. Et justement...

« Je vous écoute » fit l'inconnu.

La biche sourit, mi-gênée mi-malicieuse. Elle hésita, presque dépassée par sa verve. Mais ce fut l'air amusé du jeune homme qui l'encouragea à continuer. A croiser les bras, souriant ainsi, il mettait en confiance la jeune femme qui lui sourit en retour, les yeux pétillants d'amusement. Alors elle se redressa un peu à son tour, comme pour se donner plus de courage, puis elle tapota son grand sac pour le lui montrer.

- Je suis en école d'art... je dessine.

Elle désigna la porte dans son dos, puis sourit malicieusement au jeune homme. Elle osa alors.

- Si je vous fais visiter la résidence, j'aimerais qu'en retour, vous me laissiez vous dessiner.

Cette jeune femme, lumineuse et respirant la gaieté lui donna du baume au cœur. Voilà un petit moment qu’il ne s’était pas sentit aussi léger et joyeux auprès d’une inconnue. Logan pensait que rentrer dans cette résidence serait une épreuve difficile, voir impossible et douloureuse, mais la situation semblait annoncer tout le contraire.
Ce ne fut que lorsqu’elle montra son imposant sac que le lynx le remarqua. Troublé par tous les sentiments qui s’agitaient dans sa caboche et son cœur, il en avait perdu ses capacités de perception. De suite, il vu aussi le grand carton à dessin qu’elle portait sous le bras.

« Je suis en école d’art … Je dessine. »

Un nouveau sourire chatouilla les lèvres de l’inconnue.

« Si je vous fais visiter la résidence, j’aimerais qu’en retour, vous me laissiez vous dessiner. »

Un petit rire spontané, non moqueur mais incroyablement surpris détala de la gorge du maudit. Cette femme était décidément très originale.

- Une artiste, magnifique ! s’exclama Logan en écartant légèrement les bras. J’en serais ravi, personne ne m’a jamais dessiné. C’est un joli deal que j’accepte avec plaisir. Mais d’abord, laissez-moi me présenter : je suis Logan. Et vous ?

Il ne voulu pas annoncer son nom de famille, sachant qu’il risquerait de rendre la situation assez étrange.

« Valentine. Kyôya Valentine. »

Valentine Kyôya. Le cœur du maudit se remit à battre dans ses tempes, le fait d’entendre son nom de famille dans la bouche d’une nouvelle rencontre le désorienta, même si en ce lieu, ce patronyme risquait d’être souvent entendu. Ses yeux bleus caressèrent le visage joyeux de Valentine, une vague de chaleur se rependit dans son ventre jusqu’à son visage qui se teinta d’une couleur vermeille, et ce fut à ce moment là que Logan le sentit : ce sentiment incroyable, indescriptible d’unité. Il se savait en présence d’une personne capable de comprendre son malheur, sa solitude, sa malédiction. Mais il se ravisa brusquement lorsque la voix étouffée de Valentine fit exploser sa petite bulle de pensées.

« Alors, Logan, nous commençons la visite ? »
- Allons-y !

Fébrilement, il répondit à son sourire par un clin d’œil, puis fit un pas, pour la première fois de sa vie, dans la fameuse résidence Kyôya. Toutes ses charmantes maisons, cette douce agitation, ces odeurs … Cette ambiance changeait brutalement de celle que côtoyait le maudit dans sa vie de tous les jours. Habitué au silence de la forêt, aux ondes feutrées des bars la nuit, au calme de son petit restaurant à l’angle d’une rue peu visitée, Logan commençait à se sentir perdu. Mélangé entre l’inquiétude de son coté félin solitaire et sa totale exaltation, il n’osa pas vraiment faire un pas de plus. Se rappelant de son mensonge, il tenta tant bien que mal de ravaler tout ce bazar et tourna la tête vers sa guide.

- C’est très mignon, je ne m’attendais pas à cette ambiance. J'ai l'impression de rentrer dans un village de vacance. Par où allons-nous ?

[j'ai changé de titre parce que j'ai vu que c'était pas la première fois que quelqu'un utilisait "yeux de biche" ahah]

« Un village de vacances, c'est vrai. Il faut se dire que c'est presque un monde à part. »

C’était une ville dans une ville : Logan, suivant silencieusement Valentine, était avide de connaitre le plus d’éléments possibles autour de lui. Il avait l’impression d’être retourné dans sa belle campagne à Kyôto. Le lynx s’étonna de l’immensité des lieux, car derrière ces hauts murs, impossible de deviner l’ampleur de la dimension de la résidence. Il devait y avoir tellement d’habitants ! Pourtant, on ne se sentait pas étouffé comme dans les quartiers populaires. La maison de Valentine, petite et épurée, possédait un charme particulier tout comme sa propriétaire. « Je me plais ici, pensa-t-il en observant des carpes koï nager paresseusement à la surface de l’eau. C’est comme avant, c’est comme à la maison … ». Arrivé dans un immense jardin tout à fait prodigieux, le lynx prit un temps pour souffler et se remettre les idées en place. Un grand pas avait été fait aujourd’hui. Un pas de plus vers une vraie famille, peut être ? Il ferma les yeux, respira profondément, s’imprégnant de l’atmosphère si « hors du temps ».

« J'espère que cette visite a comblé vos attentes. »

Logan ouvrit un œil et lui offrit un sourire.

- Oui, c'était parfait. C’est … Ca doit être agréable de vivre ici, dit-il en s’étirant sous les rayons du soleil. De mon coté, je vis seul à l’orée d’une forêt. Alors ce genre d’ambiance au sein même d’une ville, j’adore. Mon grand-père a eu beaucoup de chance de travailler là.

Valentine fit demi-tour : la visité était terminée. Le maudit suivit ses pas, toujours en jetant des regards de petit garçon émerveillé autour de lui. Soudainement, il repensa à la proposition de sa guide : son portrait. A cette pensée, Logan eut un petit sourire en coin, content de pouvoir revoir et passer du temps avec cette gentille inconnue.  Grâce à elle, il avait pu franchir des limites qu’il n’aurait jamais osé outrepasser et en quelque sorte, il lui devait bien plus qu’un portrait. D’ailleurs, il se promit de lui dire la vérité à propos de la raison de sa venue. Devant la porte de la résidence, Logan s’inclina devant Valentine.

« Merci beaucoup Valentine d’avoir prit sur votre temps pour s’occuper d’un pauvre inconnu, vous êtes une superbe guide. Comme promis, je m’offre à vous pour votre travail ! -il regarda rapidement le cadran de sa montre à son poignet- Malheureusement, je dois aller travailler de mon coté. Je vous laisse mon numéro et mon adresse aussi. Passez-moi un coup de fil ou venez directement dans la semaine, je suis en congé dès demain jusqu’à la semaine prochaine. J’espère que vous n’êtes pas pressé de rendre votre œuvre ? »

Logan cru voir une lueur de déception dans le regard de Valentine, il ne pu retenir la gêne qui l’envahissait. « Elle prend sur son temps pour te faire visiter sa résidence et toi tu la laisses comme ça ? pensa-t-il en se mordillant les lèvres. Logan t’es un crétin ! ».

«  Non... pas du tout. Ça peut attendre. Eh bien, nous ferons comme ça, alors. Bon courage pour votre travail, et acceptez encore toutes mes condoléances pour votre grand-père. S'il a travaillé ici, il a sûrement fait un excellent travail. »

Cette demoiselle était remarquablement polie, Logan se sentit un peu comme un voyous. Il n’avait pas reçu l’éducation qu’on semblait donner au sein de ce genre de lieu, lui avait vécu pieds nus dans la terre, dans l’herbe et sur les arbres.

« Au-revoir. »

Elle fit quelques pas sur le trottoir tandis que Logan la suivait du regard. Sa jolie robe abricot dansait paisiblement dans le vent chaud, sa chevelure communiait avec le soleil, déployant ses plus belles nuances. Gracieuse et souple, sa démarche ainsi que son port de tête lui firent penser à une biche, animal qu’il contemplait souvent dans la forêt. Puis soudain, il se secoua : il couru vers elle et s’arrêta à sa hauteur, penaud.

« Après tout, je pense que je peux me permettre de disparaitre une après-midi, dit-il en souriant, légèrement rouge. Je ne vais pas leur manquer au boulot. En vérité,  c’était une façon maladroite de vous proposer de venir dîner à la maison, afin de vous remercier. »

Le rire de Valentine vint lui rajouter un charme peu commun. Logan, inquiet de connaitre sa réaction, sentit le nœud dans son estomac se défaire. Il ne savait pas vraiment pourquoi, mais il espérait sincèrement qu'elle accepte de dîner en sa compagnie.

« Oh, pardon ! Je, j'ai mal compris, je pensais... Ça n'a pas d'importance, mais je m'excuse. »

L'expression de son visage s'assombrit vaguement, malgré le beau sourire qu'il arborait. Encore cette incroyable politesse, le félin ne pu s'empêcher de sourire.

« Je n'ai pas été très franche avec vous. En vérité... j'ai un examen, un projet à rendre et à commenter... et cela dans quatre jours. J'avais tenté un premier essai, mais il n'a pas été apprécié, alors, quand je vous ai vu... Vous m'avez tout de suite plu, et... je voudrais faire un portrait. Pour mon projet, je voudrais vous dessiner. »

Plu ? Logan tenta de ravaler sa fierté féline qui se bousculait en lui afin de faire surfasse. Extrêmement flatté, la couleur de ses joue atteignit le comble du rouge. Une vraie pivoine. Mais Valentine se faisait toujours aussi sombre, et une inquiétude brilla soudain au fond de ses intenses yeux verts.

« Mais je ne voudrais pas vous faire manquer une journée de travail, vraiment pas. Ne vous inquiétez pas, je me débrouillerai autrement. Et... pour votre invitation, je m'excuse de ne pas avoir compris. J'accepte, bien sûr, peut-être en fin de semaine. Avec ce projet, je vais avoir beaucoup de travail... »

Il inclina la tête sur le coté, non sans s'arrêter de sourire devant la moue de la jeune femme. Ils avaient conclu un pacte, et de son vivant, jamais il ne le déshonorerait.

- Cessez de vous torturer l'esprit, mademoiselle. Je peux me rendre disponible pour vous cette après-midi, le temps que vous fassiez le dessin le plus parfait possible, j'irais travailler ensuite. Puis, si vous le voulez bien sur, je vous accueillerai autour d'un dîner lorsque vous aurez vos résultats. Si vous réussissez, ce sera en partie grâce à moi, je mérite une part du gâteau, non ?

Malicieusement, il lui fit un clin d’œil. Quelque chose le poussait à s'accrocher à cette Kyôya, bien qu'il ne cernait pas encore pourquoi. Logiquement, il n'aurait même pas tenté de discuter autant avec une inconnue, préférant ne pas courir après les gens. Mais là, une force invisible le liait à elle.

[RP terminé -> suite ici ]